30/06/2024

Andrés Serrano: Portrait de l’Amérique

Jusqu’au 20 octobre, Tempora et le Musée Maillol proposent donc un voyage dans l’œuvre « américaine » de Serrano depuis ses premières réalisations, au mitad des années 1980, jusqu’à ses plus récentes créations.

Présenter l’œuvre d’Andres Serrano en Europe, à Paris, en cette année 2024 ne tient pas du hasard. La campagne qui se profile pour élire le 47e Président des États-Unis d’Amérique sera à n’en pas douter d’une violence extrême tant les lignes de fracture de la société américaine sont profondes et nombreuses. Tant les aspirations sont divergentes. Trump a longtemps passé pour un histrion isolé qui devait à sa seule fortune considérable d’avoir pu imprimer sa marque sur le Grand Old Party. L’image d’un Trump fou et solitaire a longtemps prévalu. Justifiant même au lancement de sa campagne pour la Présidence que ses propos, généralement outranciers, soient relégués aux pages
« Entertainment » d’organes de presse aussi peu clairvoyants que le New York Times. Trump n’est pas un joueur solitaire.

Andres Serrano en a fait la démonstration jubilatoire en 2019 avec l’installation The Game : All Things Trump et Jerry Saltz en a détaillé les enjeux dans le livre qui accompagnait l’exposition. Ce même Trump présent, en 2004,
dans une des séries les plus populaires de Serrano, America, initiée au lendemain du 11 septembre, constitue un point d’ancrage à partir duquel la présente exposition a été conçue : d’un drapeau témoin du traumatisme à un autre, plus ancien, inscrit dans la série Infamous de 2019.

Les séries s’articulent sans nécessairement obéir à une chronologie stricte. Native Americans (1995-1996) introduit Nomads (1990) pour rendre compte du double regard que l’artiste porte sur la société. Les homeless constituent un sujet permanent dans l’œuvre de Serrano comme en témoigne l’installation des cartons achetés à des sans-abris et exposés, au sein de ses propres expositions, depuis une dizaine d’années. Si Nomads explore la marginalité des laissés-pour-compte du rêve américain, The Klan (1990), d’une certaine manière, explore une autre facette de l’exclusion: celle des suprémacistes blancs dont les valeurs ont été de plus en plus largement rejetées par une Amérique moderne sans que leur sentiment de déclassement n’ait trouvé de réponse.

De son regard objectif Serrano nous invite à réfléchir à ce que l’image donne à voir, au-delà du piège que constitue son esthétisme raffiné. Derrière la beauté d’une croix, la souffrance ; au-delà de l’acier lumineux d’un Colt, la mort ; passé la forme picturale de la robe et du capuchon, la haine et le racisme. Étrangement, l’artiste qui avec le Piss Christ a été au cœur d’une des plus grandes polémiques liées à l’art aux USA, semble ne jamais vouloir prendre parti. Son regard revendique l’objectivité glacée du canon de revolver. Mais les sujets parlent d’eux-mêmes : The Morgue (1992) met en scène la mort comme ultime espace d’égalité devant la vie, Holy Works (2011) met en lumière l’hystérie religieuse ; Objects of Desire (1992), la pulsion mortifère galvanisée par le deuxième amendement qui assure la liberté du port d’arme ; Torture (2015), la violence d’État ; Infamous (2019) la permanence des préjugés aussi bien raciaux que sexistes…

De série en série, Serrano livre un portrait de l’Amérique tel qu’il la croise au quotidien et tel qu’il la sent évoluer sous son objectif. La photographie devient ainsi un témoignage qui a largement conditionné la progression de son œuvre : le choix du sujet renvoie désormais au projet d’inventaire qui traverse largement la création contemporaine.

Jusqu’au 20 octobre
Musée Mailliol, 59-61 Rue de Grenelle, 75007 Paris | Accès: Métro 1, 7, 12 / RER D
Horaires: Tous les jours de 10h30 à 18h30 / Nocturne le mercredi jusqu’à 22h